Une alternative à la réinjection
Dès 2025, les propriétaires d’installations photovoltaïques pourront plus facilement partager l’électricité produite avec leurs voisins, au lieu de la réinjecter dans le réseau. Les communautés électriques locales et les regroupements virtuels dans le cadre de la consommation propre offrent de nouvelles possibilités, mais présentent également quelques défis.
En Suisse, le solaire a le vent en poupe. L’enjeu est énorme : dans ses Perspectives énergétiques 2050+, la Confédération table sur un gain de 67 térawattheures par année grâce aux toits et aux façades qui se prêtent au photovoltaïque. C’est plus que la production de l’hydraulique et du nucléaire suisses réunis. Les particuliers sont encouragés à équiper leur bien pour contribuer à la transition écologique et se procurer un gain financier.
Propriétaire d’une villa à Rubigen (BE), Thomas Beer souhaitait faire profiter d’autres consommateurs de l’électricité solaire de son toit. Sa motivation : accélérer la sortie des énergies fossiles. En 2020, il a pris l’initiative de créer avec un voisin un regroupement dans le cadre de la consommation propre (RCP). Celui-ci réunit aujourd’hui sept ménages habitant le même lotissement géré de manière coopérative. Parmi eux, deux producteurs qui possèdent chacun un compteur individuel, auquel s’ajoutent un ondulateur commun et un compteur centralisé. Monsieur Beer et son voisin ont passé beaucoup de temps à peaufiner le système, qui a nécessité de trouver réponse à de nombreuses questions techniques et contractuelles. Il leur a aussi fallu redimensionner leur projet, dans lequel ils rêvaient d’embarquer tout le quartier.
Lourdeurs administratives
Cette complexité peut rebuter les particuliers qui envisagent de constituer un regroupement privé. « Il faut être prêt à y consacrer une partie de ses loisirs », reconnaît M. Beer, qui s’interroge désormais sur l’opportunité de transformer la RCP Rubigen en communauté électrique locale (CEL). Les deux voisins sont intéressés par une solution à l’échelle de la commune, mais la lourdeur des démarches à entreprendre tempère leur enthousiasme. S’ils décident de se lancer, ils devront trouver des soutiens. La commune pourrait se charger des aspects administratifs. Une solution informatique efficace serait un atout pour faciliter les inscriptions
Des tarifs plus avantageux en guise de carotte
La plupart des producteurs privés ou coopératifs consomment une partie de l’électricité produite et réinjectent le surplus dans le réseau local. La loi sur l’énergie oblige le gestionnaire du réseau de distribution (GRD) à accepter et à rémunérer ces kilowattheures. Mais les entreprises sont libres de fixer des tarifs très variables. L’affaire nʼest donc pas toujours profitable pour les producteurs, d’où l’intérêt des regroupements à l’échelle locale, financièrement plus avantageux. Le GRD voit certes ses ventes diminuer, mais s’épargne les dépenses indispensables pour adapter l’infrastructure à l’augmentation de la production solaire : consommée sur place, elle n’a pas besoin d’être transportée ailleurs.
Le problème des heures d’ensoleillement
Les propriétaires d’une installation photovoltaïque le savent : le soleil ne brille pas forcément quand on a besoin d’électricité. Les tarifs du marché n’y changent rien. Il faut stocker le courant (ce qui reste onéreux et entraîne des pertes) ou l’utiliser au moment où il est disponible. Les communautés électriques locales (CEL) et les regroupements dans le cadre de la consommation propre (RCP) offrent une alternative pour bénéficier à plusieurs du courant fourni par les panneaux photovoltaïques durant la journée. Pendant que le voisin A recharge sa tondeuse à gazon, le voisin B fait tourner sa machine à laver ; quant au producteur, il peut être en train de bidouiller des sonorités dans son home studio. L’énergie d’une seule installation solaire est ainsi plus souvent utilisée directement sur place que quand elle alimente un unique ménage.
Comparaison entre RCP et CEL
Le RCP était jusqu’ici le seul moyen de partager le courant solaire. La nouvelle loi sur l’énergie, acceptée par le peuple suisse le 9 juin 2024, qui prendra effet en 2025 lui adjoint deux instruments supplémentaires, le RCP virtuel et la communauté électrique locale ou CEL. Sans entrer dans les détails (qui seront réglés par voie d’ordonnance), les participants à un RCP peuvent utiliser les lignes de raccordement pour constituer un regroupement virtuel et se présentent comme un client unique au GRD. Dans une CEL, chacun reste individuellement client, mais vend ou achète de l’électricité locale au sein du réseau public du quartier ou de la commune.
Lucia Grüter, membre du comité de l’association des producteurs d’énergie indépendants (VESE), compare les mérites des deux solutions : « l’avantage financier d’une CEL est à clarifier, on parle d’un abattement de 30 % par rapport à l’électricité soutirée du réseau. Est-ce suffisant pour motiver les clients potentiels ? Le RCP virtuel reste une solution plus intéressante ». Tous les usagers raccordés à la même cabine de distribution peuvent en profiter et économisent ainsi les frais du réseau.
Compteurs intelligents
Les compteurs intelligents sont un des éléments clés du système. Installés par le GRD chez les producteurs et les consommateurs, ils mesurent les kilowattheures injectés et utilisés localement. Les besoins supplémentaires sont couverts par l’électricité du réseau, facturée séparément.
Ces nouvelles perspectives suscitent déjà des vocations chez les producteurs d’électricité solaire, alors que certains préfèrent attendre dʼen savoir plus. Lucia Grüter observe un mouvement similaire du côté des GRD : « on en voit qui se préparent à proposer eux-mêmes des CEL et cherchent des clients ». D’autres ne font pas encore mine de s’activer. Quoi qu’il en soit, dès 2025, ils seront tenus d’offrir à tous les propriétaires d’installations photovoltaïques la possibilité de partager leur production avec leurs voisins. La transition énergétique est en marche.