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Squats, une réponse politique disproportionnée à un faux problème

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Sous couvert de protéger les propriétaires, le Parlement a choisi de durcir la répression contre les squats. Une décision prise à contretemps, qui n’apporte pas de réponse à la problématique réelle du terrain. Il existe en Suisse des solutions efficaces et respectueuses du droit qui mériteraient une meilleure considération de la part de nos politiques, mais sont trop souvent balayées d’un revers de la main en brandissant la carte sécuritaire.

Le 12 mars 2024, le Parlement suisse a décidé de renforcer les moyens juridiques à disposition des propriétaires pour expulser rapidement les occupants illégaux de leurs biens immobiliers. En ligne de mire : les squatteurs. Si cette décision peut sembler de bon sens à première vue, elle répond en réalité à un phénomène marginal, déjà bien géré par les grandes villes, et passe à côté des véritables enjeux. Plus problématique encore, elle risque d’entraver des pratiques comme l’utilisation intermédiaire de logements vacants, solution précieuse à l’heure de la crise du logement.

Les cas de squats de bâtiments privés font régulièrement la une des médias. Mais ces situations, souvent spectaculaires, ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit d’exceptions. À Genève, Lausanne ou Zurich, les villes disposent déjà de procédures efficaces permettant de concilier les droits des propriétaires avec le respect de l’État de droit. La majorité des cas sont résolus rapidement, sans recours excessif à la justice ni prolongation indue de l’occupation.

Potentiel d’occupation non exploité
La décision du Parlement intervient dans un contexte où la vacance des logements reste structurellement faible dans les zones urbaines, tandis que les besoins en hébergement – notamment pour les jeunes, les personnes en formation ou les requérants d’asile – ne cessent de croître. Or, les périodes de vacance temporaire des bâtiments, par exemple avant une rénovation ou une démolition, pourraient être mises à profit de manière plus intelligente, au bénéfice de toutes les parties concernées.

Et les solutions existent. L’occupation temporaire légale de logements inoccupés, encadrée par des conventions d’usage, permet d’éviter les dégradations, de prévenir les squats non encadrés et de contribuer à la vie de quartier. Des organisations facilitent déjà ce type d’accords entre propriétaires et occupants temporaires, souvent des artistes, des collectifs ou des habitants précaires. Ces initiatives assurent un entretien des lieux, une présence dissuasive contre les déprédations et un usage socialement utile de surfaces autrement vides.

Le renforcement juridique adopté par le Parlement risque de décourager ces initiatives. En rendant les expulsions plus faciles et plus rapides, il pousse à la logique de fermeture, d’alarme et de cadenas, là où des approches contractuelles, souples et intelligentes, portées par les collectivités locales et les associations, fonctionnent déjà. Ce durcissement reflète une vision de la propriété fondée sur la peur du désordre, plutôt que sur la responsabilité partagée et l’intérêt commun.

Pour la directrice d’HabitatDurable Kathy Steiner, cette évolution législative constitue une mauvaise réponse à un faux problème. « Les villes disposent en effet déjà des dispositions légales nécessaires à la bonne gestion des squats. » Elle détourne en outre l’attention du débat essentiel, à savoir comment utiliser les logements temporairement vacants de manière responsable, solidaire et durable. Les propriétaires ne sont pas les ennemis des locataires précaires, pas plus que les squatteurs ne sont un fléau incontrôlable. Ce qui manque, ce sont en revanche des cadres de confiance, des soutiens institutionnels ainsi qu’une volonté politique d’encourager l’occupation utile et provisoire des bâtiments inemployés.

Autre point essentiel à mettre en place, un accord entre propriétaires et squatteurs. Selon Kathy Steiner, « outre l’utilisation des infrastructures telles que l’eau et l’électricité, il convient de clarifier les relations avec le voisinage, car celui-ci peut subir certaines nuisances en l’absence d’un cadre clair entre les propriétaires et les squatteurs ».

Exemple inspirant
Les expériences positives existent. Elles montrent que l’on peut transformer une période de vacance en opportunité sociale. La réponse ne passe pas par la répression, mais par l’inventivité et la coopération. En témoigne la situation qu’a vécue Marc*, propriétaire d’une petite maison familiale à rénover dans les hauts de la région lausannoise. Alors qu’il s’apprêtait à lancer des travaux de rénovations énergétiques, il a découvert que son logement vide était occupé.

« Je logeais chez ma sœur en attendant le démarrage des travaux lorsqu’un soir, un voisin m’a signalé de la lumière dans la maison. » Sur place, il tombe sur un jeune couple, visiblement en difficulté. « Ils m’ont expliqué qu’ils venaient de perdre leur logement et qu’ils n’avaient trouvé aucune solution d’urgence. Lui étudiait et elle cherchait un emploi après avoir décroché de son apprentissage d’assistante socio-éducative. J’ai perçu chez eux une certaine gêne, et surtout l’impossibilité de faire appel à des amis ou à de la famille quasiment inexistante. »

Plutôt que de se tourner vers la police, Marc choisit d’entamer le dialogue. « Je n’étais pas ravi, mais je me suis dit que ça ne servait à rien de les mettre à la rue brutalement. » Il leur propose alors un compromis, qu’il pose sur papier en leur demandant de signer le document : rester temporairement, à condition de respecter les lieux et de partir à l’annonce des travaux. « Ils ont été corrects, on a même échangé quelques coups de main pour finir de vider complètement l’appartement avant le chantier. »

Aujourd’hui, Marc ne regrette rien. « Ça m’a coûté un peu de flexibilité, mais on a évité le conflit, les procédures, les tensions. Ça m’a surtout montré qu’on peut gérer ce genre de situations autrement, sans passer par la case répression, et que le fait de se montrer ouvert peut permettre à certaines personnes dans le besoin de rebondir. »

*Prénom d’emprunt

  • Squats, une réponse politique disproportionnée à un faux problème

    : Muriel Antille

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