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« Loin des yeux, loin du coeur » : en Suisse, Mon­sieur et Madame Tout-le-monde pro­duisent chaque année près de 6 mil­lions de tonnes d’ordures. C’est presque 11,5 tonnes par minute. Le temps est venu de révo­lu­tion­ner ses habitudes.

Com­pa­rons deux courbes sta­tis­tiques qui n’ont à pre­mière vue aucun rap­port : l’évolution du pro­duit inté­rieur brut et l’augmentation du volume d’ordures ména­gères depuis 1990. Une chose saute aux yeux : les deux courbes sont pra­ti­que­ment iden­tiques. En 2009, alors que la crois­sance mar­quait un temps d’arrêt en rai­son de la crise finan­cière, la quan­tité d’ordures ména­gères dimi­nuait tem­po­rai­re­ment dans les mêmes proportions.

Plus notre niveau de vie aug­mente, plus nos pou­belles débordent. Avec une moyenne annuelle de 716 kg de déchets par habi­tant, la Suisse est l’un des pays où l’on jette le plus. Elle recycle certes beau­coup : 53 % du volume total des ordures ména­gères, c’est-à-dire deux fois plus qu’à la fin des années 1980.

Selon l’Office fédé­ral de l’environnement (OFEV), ce taux de recy­clage doit beau­coup à la taxe sur les sacs pou­belle intro­duite dès les années 1990 : « Il est devenu finan­ciè­re­ment inté­res­sant de trier ses déchets ; dans le même temps, les points de col­lecte se sont mul­ti­pliés ». L’OFEV ne mini­mise pas ces pro­grès, mais met en garde : « l’essor du recy­clage ne doit pas nous leur­rer : la solu­tion la moins éner­gi­vore et la moins consom­ma­trice de res­sources reste de ne pas pro­duire de déchets ».

Cet impé­ra­tif, nous sommes encore bien loin de l’avoir ins­crit dans notre quo­ti­dien. Un taux de recy­clage de 53 % implique tout de même que 47 % des ordures ména­gères finissent inci­né­rées. C’est tous les jours un kilo de déchet par per­sonne qu’on glisse sous l’évier dans la pou­belle munie du sac régle­men­taire, déposé une ou deux fois par semaine au bas de l’immeuble, pour pro­duire en bout de course, grâce à la « reva­lo­ri­sa­tion ther­mique », comme on dit dans le jar­gon de la branche, du chauf­fage à dis­tance et de l’électricité.

Objec­tif zéro déchet

Pour beau­coup, cette solu­tion n’est pas la pana­cée. Les adeptes du « Zéro déchet » (Zero Waste en anglais) sont tou­jours plus nom­breux à ten­ter de réduire leurs déchets au mini­mum. C’est le cas de Mar­tina Fischli : « Dans notre ménage de deux per­sonnes, nous rem­plis­sons à peine un sac pou­belle de 17 litres tous les deux mois, contre un de 35 litres chaque semaine il y a quatre ans ». Cette pas­sion­née de cui­sine a pris goût à une autre manière de consom­mer. Elle n’en pou­vait plus de voir les embal­lages en plas­tique plé­tho­riques sur les rayons du super­mar­ché. « Il fal­lait dire stop. J’ai décidé de ne plus ache­ter d’aliments pré­em­bal­lés chaque fois que c’est possible ».

La phi­lo­so­phie « Zéro Déchet » ne se can­tonne pas à la pou­belle. Le mou­ve­ment pré­co­nise une uti­li­sa­tion res­pon­sable des res­sources telles que l’eau, l’électricité ou le temps de tra­vail. Il mise aussi sur la sensibilisation.

Pour Mar­tina Fischli, les nou­velles habi­tudes ne sont nul­le­ment syno­nymes de pri­va­tion. « J’ai tou­jours quelques sacs en tissu avec moi, ils sont légers et prennent peu de place. Je peux m’en ser­vir pour de nom­breux ali­ments, tous les fruits et les légumes, les céréales et les bis­cuits. Je me four­nis volon­tiers direc­te­ment à la ferme et au mar­ché, on y trouve un très vaste choix de pro­duits non emballés ».

Le site Inter­net Zero­Waste Swit­zer­land pro­digue géné­reu­se­ment ses conseils pour ache­ter sans géné­rer de déchets. Outre les légumes et les fruits en vrac, la viande, le pois­son et le fro­mage se vendent aussi à la coupe. Cela per­met de choi­sir uni­que­ment la quan­tité sou­hai­tée en fonc­tion des repas pré­vus. Pour le trans­port, les clients apportent leurs propres réci­pients. Mais suc­com­ber à une tablette de cho­co­lat enve­lop­pée de papier et d’aluminium n’est pas un péché : ces deux maté­riaux peuvent être recy­clés et ne sont donc pas incom­pa­tibles avec le concept zéro déchet. Enfin, ceux qui s’énervent devant les légumes bio enve­lop­pés dans du plas­tique sur les étals des grandes sur­faces peuvent se diri­ger vers les épi­ce­ries bio et les stands du mar­ché. « C’est comme n’importe quel hobby : plus on le pra­tique, meilleur on devient », nous dit encore Mar­tina Fischli. Elle recon­naît cepen­dant les limites de l’exercice : « lorsque je fais du sport, je ne peux pas tou­jours me pas­ser de len­tilles de contact jetables ».

Repen­ser l’économie pour évi­ter de pro­duire des déchets

En Suisse, le mou­ve­ment « Zéro Déchet » est encore modeste. L’association du même nom a vu le jour il y a cinq ans et compte aujourd’hui près de 1000 membres. Pour­tant, même si elle conti­nue à faire beau­coup d’émules, d’autres moyens sont indis­pen­sables pour faire dimi­nuer la mon­tagne de déchets. L’idéal est d’agir à la source. Un bon déchet est un déchet qui n’a jamais existé.

Pour ce faire, il faut opé­rer une révo­lu­tion dans les cer­veaux qui pilotent notre éco­no­mie pro­duc­trice de biens de consom­ma­tion. Son but pre­mier, l’accroissement du chiffre d’affaires et de la pro­duc­ti­vité, n’est pas por­teur d’avenir. C’est la convic­tion d’Esther Hil­ber, cheffe de pro­jet Déchets et Res­sources auprès de la fon­da­tion Pusch. « Au vu du gigan­tesque gas­pillage de res­sources, de la rareté crois­sante de celles-ci, des des­truc­tions que l’être humain inflige à son envi­ron­ne­ment, il devient évident que nous ne pou­vons plus conti­nuer comme ça. L’alternative, c’est l’économie cir­cu­laire. Ce modèle éco­no­mique vise à pro­lon­ger et à refer­mer autant que pos­sible le cycle de vie des biens ou de leurs com­po­santes. Cela com­mence dès la concep­tion du pro­duit, qui exige une réflexion sur sa com­po­si­tion. Les pro­duits finis doivent pou­voir être répa­rés et leurs pièces rem­pla­cées ou recyclées. »

Ce modèle n’a rien de nou­veau. L’agriculture tra­di­tion­nelle pro­cède exac­te­ment de la sorte. Les ini­tia­tives nova­trices se mul­ti­plient, mais la volonté poli­tique ne suit pas, déplore Esther Hil­ber. « Il faut du cou­rage et de la clair­voyance pour trans­for­mer une éco­no­mie appa­rem­ment fonc­tion­nelle. Tout le monde ne pos­sède pas cette vision à long terme. Alors que l’avenir nous force à une uti­li­sa­tion plus effi­ciente des res­sources qui se raréfient. »

La société du tout jetable a de beaux jours devant elle

La voie est ardue. Nous conti­nuons, bon an mal an, à pro­duire une marée de déchets. La moindre des choses est de les col­lec­ter dans les règles de l’art et de les reva­lo­ri­ser autant que possible.

Les recettes pro­po­sées s’attaquent au pro­blème de dif­fé­rentes manières : nous savons éli­mi­ner cor­rec­te­ment les ordures et récu­pé­rer l’énergie déga­gée sous forme d’électricité ou de cha­leur. Mais un chan­ge­ment de para­digme sera néces­saire pour faire face au pic des déchets prévu pour 2050 dans les pays de l’OCDE, et sans doute dans un siècle à l’échelle du monde.

Cet océan de détri­tus est le revers de notre confort. Qu’une impri­mante neuve coûte moins cher que ses car­touches de rechange est d’une absur­dité sans nom. La taxe sur le recy­clage com­prise dans le prix d’achat peut sem­bler une bonne idée, alors qu’en réa­lité, elle favo­rise les com­por­te­ments irré­flé­chis. Elle ne freine en rien la méca­nique de l’obsolescence : alors que nos grands-parents se ser­vaient du même appa­reil télé­pho­nique pen­dant des décen­nies, nous chan­geons de smart­phone au bout de quelques années.

Durant notre exis­tence, nous pro­dui­sons quelque 60 tonnes de déchets ména­gers. Si le monde entier consom­mait la même quan­tité de res­sources que la Suisse, il nous fau­drait trois pla­nètes. Voilà qui donne sérieu­se­ment à réfléchir.

L’au­teur

Andreas Käsermann

Andreas Käser­mann
Res­pon­sable d’in­for­ma­tion et des médias d’HabitatDurable

Éxtrait de la Revue HabitatDurable 57

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