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La société du prêt-à-jeter

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  Fri, 26.06.2020

« Loin des yeux, loin du coeur » : en Suisse, Monsieur et Madame Tout-le-monde produisent chaque année près de 6 millions de tonnes d’ordures. C’est presque 11,5 tonnes par minute. Le temps est venu de révolutionner ses habitudes.

Comparons deux courbes statistiques qui n’ont à première vue aucun rapport : l’évolution du produit intérieur brut et l’augmentation du volume d’ordures ménagères depuis 1990. Une chose saute aux yeux : les deux courbes sont pratiquement identiques. En 2009, alors que la croissance marquait un temps d’arrêt en raison de la crise financière, la quantité d’ordures ménagères diminuait temporairement dans les mêmes proportions.

Plus notre niveau de vie augmente, plus nos poubelles débordent. Avec une moyenne annuelle de 716 kg de déchets par habitant, la Suisse est l’un des pays où l’on jette le plus. Elle recycle certes beaucoup : 53 % du volume total des ordures ménagères, c’est-à-dire deux fois plus qu’à la fin des années 1980.

Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), ce taux de recyclage doit beaucoup à la taxe sur les sacs poubelle introduite dès les années 1990 : « Il est devenu financièrement intéressant de trier ses déchets ; dans le même temps, les points de collecte se sont multipliés ». L’OFEV ne minimise pas ces progrès, mais met en garde : « l’essor du recyclage ne doit pas nous leurrer : la solution la moins énergivore et la moins consommatrice de ressources reste de ne pas produire de déchets ».

Cet impératif, nous sommes encore bien loin de l’avoir inscrit dans notre quotidien. Un taux de recyclage de 53 % implique tout de même que 47 % des ordures ménagères finissent incinérées. C’est tous les jours un kilo de déchet par personne qu’on glisse sous l’évier dans la poubelle munie du sac réglementaire, déposé une ou deux fois par semaine au bas de l’immeuble, pour produire en bout de course, grâce à la « revalorisation thermique », comme on dit dans le jargon de la branche, du chauffage à distance et de l’électricité.

Objectif zéro déchet

Pour beaucoup, cette solution n’est pas la panacée. Les adeptes du « Zéro déchet » (Zero Waste en anglais) sont toujours plus nombreux à tenter de réduire leurs déchets au minimum. C’est le cas de Martina Fischli : « Dans notre ménage de deux personnes, nous remplissons à peine un sac poubelle de 17 litres tous les deux mois, contre un de 35 litres chaque semaine il y a quatre ans ». Cette passionnée de cuisine a pris goût à une autre manière de consommer. Elle n’en pouvait plus de voir les emballages en plastique pléthoriques sur les rayons du supermarché. « Il fallait dire stop. J’ai décidé de ne plus acheter d’aliments préemballés chaque fois que c’est possible ».

La philosophie « Zéro Déchet » ne se cantonne pas à la poubelle. Le mouvement préconise une utilisation responsable des ressources telles que l’eau, l’électricité ou le temps de travail. Il mise aussi sur la sensibilisation.

Pour Martina Fischli, les nouvelles habitudes ne sont nullement synonymes de privation. « J’ai toujours quelques sacs en tissu avec moi, ils sont légers et prennent peu de place. Je peux m’en servir pour de nombreux aliments, tous les fruits et les légumes, les céréales et les biscuits. Je me fournis volontiers directement à la ferme et au marché, on y trouve un très vaste choix de produits non emballés ».

Le site Internet ZeroWaste Switzerland prodigue généreusement ses conseils pour acheter sans générer de déchets. Outre les légumes et les fruits en vrac, la viande, le poisson et le fromage se vendent aussi à la coupe. Cela permet de choisir uniquement la quantité souhaitée en fonction des repas prévus. Pour le transport, les clients apportent leurs propres récipients. Mais succomber à une tablette de chocolat enveloppée de papier et d’aluminium n’est pas un péché : ces deux matériaux peuvent être recyclés et ne sont donc pas incompatibles avec le concept zéro déchet. Enfin, ceux qui s’énervent devant les légumes bio enveloppés dans du plastique sur les étals des grandes surfaces peuvent se diriger vers les épiceries bio et les stands du marché. « C’est comme n’importe quel hobby : plus on le pratique, meilleur on devient », nous dit encore Martina Fischli. Elle reconnaît cependant les limites de l’exercice : « lorsque je fais du sport, je ne peux pas toujours me passer de lentilles de contact jetables ».

Repenser l’économie pour éviter de produire des déchets

En Suisse, le mouvement « Zéro Déchet » est encore modeste. L’association du même nom a vu le jour il y a cinq ans et compte aujourd’hui près de 1000 membres. Pourtant, même si elle continue à faire beaucoup d’émules, d’autres moyens sont indispensables pour faire diminuer la montagne de déchets. L’idéal est d’agir à la source. Un bon déchet est un déchet qui n’a jamais existé.

Pour ce faire, il faut opérer une révolution dans les cerveaux qui pilotent notre économie productrice de biens de consommation. Son but premier, l’accroissement du chiffre d’affaires et de la productivité, n’est pas porteur d’avenir. C’est la conviction d’Esther Hilber, cheffe de projet Déchets et Ressources auprès de la fondation Pusch. « Au vu du gigantesque gaspillage de ressources, de la rareté croissante de celles-ci, des destructions que l’être humain inflige à son environnement, il devient évident que nous ne pouvons plus continuer comme ça. L’alternative, c’est l’économie circulaire. Ce modèle économique vise à prolonger et à refermer autant que possible le cycle de vie des biens ou de leurs composantes. Cela commence dès la conception du produit, qui exige une réflexion sur sa composition. Les produits finis doivent pouvoir être réparés et leurs pièces remplacées ou recyclées. »

Ce modèle n’a rien de nouveau. L’agriculture traditionnelle procède exactement de la sorte. Les initiatives novatrices se multiplient, mais la volonté politique ne suit pas, déplore Esther Hilber. « Il faut du courage et de la clairvoyance pour transformer une économie apparemment fonctionnelle. Tout le monde ne possède pas cette vision à long terme. Alors que l’avenir nous force à une utilisation plus efficiente des ressources qui se raréfient. »

La société du tout jetable a de beaux jours devant elle

La voie est ardue. Nous continuons, bon an mal an, à produire une marée de déchets. La moindre des choses est de les collecter dans les règles de l’art et de les revaloriser autant que possible.

Les recettes proposées s’attaquent au problème de différentes manières : nous savons éliminer correctement les ordures et récupérer l’énergie dégagée sous forme d’électricité ou de chaleur. Mais un changement de paradigme sera nécessaire pour faire face au pic des déchets prévu pour 2050 dans les pays de l’OCDE, et sans doute dans un siècle à l’échelle du monde.

Cet océan de détritus est le revers de notre confort. Qu’une imprimante neuve coûte moins cher que ses cartouches de rechange est d’une absurdité sans nom. La taxe sur le recyclage comprise dans le prix d’achat peut sembler une bonne idée, alors qu’en réalité, elle favorise les comportements irréfléchis. Elle ne freine en rien la mécanique de l’obsolescence : alors que nos grands-parents se servaient du même appareil téléphonique pendant des décennies, nous changeons de smartphone au bout de quelques années.

Durant notre existence, nous produisons quelque 60 tonnes de déchets ménagers. Si le monde entier consommait la même quantité de ressources que la Suisse, il nous faudrait trois planètes. Voilà qui donne sérieusement à réfléchir.

L'auteur

Andreas Käsermann

Andreas Käsermann
Responsable d'information et des médias d'HabitatDurable

Éxtrait de la Revue HabitatDurable 57

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