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Face aux bouleversements: réenchanter les quartiers

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Étés caniculaires, périodes de sécheresse, pluies diluviennes, la sévérité d’épisodes climatiques toujours plus marqués rappelle l’importance des choix effectués en matière d’aménagement urbain. Pour favoriser la durabilité de nos cités et ainsi augmenter leur résilience face aux changements climatiques, la société fribourgeoise Enoki s’est spécialisée dans la création de dynamiques de quartiers qui favorisent la durabilité de ceux-ci. Axelle Marchon, architecte et cofondatrice de la firme, revient sur les raisons qui ont motivé son bureau à se spécialiser dans ce domaine.

Lors de vos études, vous vous distinguez en remportant, avec d’autres étudiant·e·s, le prestigieux concours international Solar Decathlon à Denver aux États­ Unis, en y présentant une maison de quartier entièrement autonome d’un point de vue énergétique, le NeighborHub. La voie vers l’architecture durable semble alors toute tracée, pourtant, cinq ans plus tard, vous vous éloignez toujours plus de la construction à proprement parler pour vous concentrer sur l’activation de quartier. Comment expliquer cette évolution?

J’aime bien utiliser une métaphore informatique qui distingue le hardware du software. En architecture, la partie solide, le hardware, se réfère à la construction d’un bâtiment, alors que le software correspond à tous les éléments qui permettent son usage au quotidien. Au départ, nous étions actifs dans les deux domaines, la construction durable et l’accompagnement de propriétaires ou d’investisseurs soucieux d’augmenter le vivre-ensemble de leurs quartiers. Au fil du temps, il s’est avéré que ce qui nous drivait, nous motivait le plus, c’était cet accompagnement vers des solutions durables pour les quartiers.

Justement, que faut-il comprendre par « activation du quartier » ?

En d’autres termes, nous faisons du coaching de quartier. Notre action va donc consister à sonder les besoins de la population, à travailler avec elle pour mettre sur pied différents services de proximité. Cela peut prendre la forme de jardins potagers partagés, de livraison de produits locaux, de mise à disposition d’outils pour réparer les vélos ou par exemple d’une pompe pour gonfler les pneus, de mettre en place des espaces communs pour en faire un local de quartier ou de télétravail partagé, etc. Pour cela, l’échelle du quartier ou de quelques immeubles est idéale, car elle n’est ni trop grande ni trop petite. Il s’agit de la taille parfaite pour disposer d’une masse critique suffisante pour assurer le bon fonctionnement des services mis en place.

Quels sont les objectifs visés par le renforcement de la vie dans les quartiers?

Actuellement, il faut savoir que l’empreinte écologique de la Suisse est 4,4 fois supérieures à sa biocapacité et que l’espace urbain génère 75 % de la consommation des ressources et des émissions de CO2. Pour diminuer cette empreinte, il faut non seulement améliorer l’efficience énergétique du bâti, mais également travailler à la durabilité de nos modes de vie. Et pour y parvenir, il faut proposer aux gens des solutions suffisamment accessibles pour que celles-ci deviennent des choix par défaut. Il s’agit donc d’élaborer des écosystèmes durables qui conduisent à une réduction de l’empreinte écologique.

Auriez-vous un exemple de solution concrète qui amène à un mode de vie plus durable?

Prenez le four à crêpes, le fameux Party Crêpes. Il est inutile que chaque foyer en possède un au fond d’un placard. En créant une bibliothèque d’objets dans le quartier, on peut mutualiser ce type de biens. Cette question de la mutualisation touche aussi à la mise en commun d’espaces. Pour prendre une thématique très actuelle, on pourrait par exemple envisager un lieu de coworking à l’échelle du quartier plutôt que des pièces supplémentaires dans chaque appartement. Les solutions existent, il s’agit désormais de les mettre en place pour transformer durablement nos modes de consommation.

Ces écosystèmes passent aussi par la création de lien social, en quoi contribue-t-il à améliorer la durabilité d’un quartier?

Si on schématise, la question sociale représente, avec l’aspect économique et environnemental, l’un des trois fondements de la durabilité. Tisser du lien, travailler à l’élaboration de communautés soudées, renforcer le vivre-ensemble sont des aspects primordiaux pour renforcer la résilience de nos sociétés en cas de crise. L’aspect communautaire est primordial, il était d’ailleurs extrêmement présent autrefois, il s’agit désormais de le réactiver. Cela peut passer par des cafés-rencontres, des ateliers qui permettent un transfert de savoirs entre générations , des fêtes de quartier. Il s’agit de penser l’urbanisme en termes de care, de prendre soin les uns des autres.

Ces initiatives pourraient être mises en place par la population, comment expliquer la nécessité d’un tel accompagnement?

Certaines personnes pourraient renoncer par manque de temps, d’autres par manque de légitimation. Par notre intervention, nous offrons un cadre qui facilite la réflexion et la mise en place d’une bonne gouvernance dès le départ. En général, notre accompagnement dure deux à trois ans, le temps de créer un terreau fertile pour que la plante puisse s’épanouir sans nous. L’un des piliers de ce processus passe donc par la création d’une association de quartier. Pour faciliter les démarches, on propose un suivi administratif, en mettant par exemple à disposition des statuts prédéfinis, modifiables selon l’usage. On insiste également auprès du propriétaire pour qu’il s’implique financièrement dans la structure, afin de contribuer à alimenter la trésorerie de l’association et ainsi d’encourager l’organisation d’événements qui conduiront au renforcement du vivre-ensemble.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, vos partenaires principaux ne sont pas des coopératives, mais plutôt des propriétaires d’immeubles de rendement…

Effectivement, les coopératives n’ont généralement pas besoin de nous, car elles mettent en place une réflexion commune dès la conception de leur projet. Notre expertise intervient avant tout pour des immeubles de rendement. Nous travaillons essentiellement avec des fonds immobiliers ou des propriétaires institutionnels qui souhaitent valoriser leur portefeuille immobilier en rendant leurs immeubles plus attractifs et plus durables. Nous intervenons soit dans des lieux existants, où nous réfléchissons avec les habitant·e·s aux leviers d’action pour renforcer la dynamique de quartier, soit en amont de la construction, phase durant laquelle nous menons une réflexion avec les développeurs immobiliers et la population, par exemple autour d’espaces communs, intérieurs ou extérieurs, qui favorisent la vie de quartier.

Enoki, célèbre cet été ses cinq ans, cela permet-il un recul suffisant pour évaluer le succès des premières activations de quartier ?

Oui, à Sébeillon par exemple, un quartier de Lausanne qui compte environ 1000 habitant·e·s, l’autonomisation est désormais atteinte. L’association de quartier a d’ailleurs déjà lancé de nouveaux projets, notamment dans l’installation d’une armoire pour la livraison des paniers locaux, action pour laquelle elle s’est directement coordonnée avec le fonds immobilier propriétaire des lieux. Ces retours d’expériences sont très précieux pour nous aider à faire mûrir notre approche, dans l’optique d’une réplication à plus large échelle.

Votre démarche reste novatrice, comment est-elle perçue sur le terrain?

On a senti un déclic ces dernières années, une prise de conscience au sein du secteur immobilier de l’importance du bien-être des locataires, ce qui présente l’avantage, pour les propriétaires, de réduire le risque de turn-over et de faire baisser le taux de logements vacants. Actuellement, la grande difficulté consiste à mesurer l’impact social. Contrairement à la question énergétique pour laquelle de nombreux indicateurs existent, il n’y a que peu d’outils pour mesurer l’indice de satisfaction de la population à vivre dans le quartier. Nous travaillons donc à développer de tels indicateurs, par exemple le nombre de voisin·e·s qu’un·e habitant·e connaît avant et après l’intervention. L’idée n’est pas pour autant de vouloir tout mesurer, certains éléments relevant tout simplement du bon sens.

Un projet de rêve ?

Ce qui nous passionne de plus en plus c’est de travailler sur l’existant. On nous sollicite d’ailleurs toujours davantage pour des projets de rénovations. L’idée est d’intervenir au moment où les travaux sont envisagés et de repenser les espaces avec les habitant·e·s afin de les faire correspondre à leurs besoins et ainsi d’améliorer l’usage et la qualité de vie du quartier tout en les sensibilisant au projet de rénovation. A travers cet accompagnement, on participe à la transition de quartiers existants en les rendant plus écologiques et plus durable. C’est très inspirant.

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