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Scrolls architectural drawings and small house

De la gloutonnerie matérielle à la régénération : Comment construire pour prendre soin de la planète ?

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  Thu, 16.06.2022

L’acte de construire est intimement lié à la destruction. En tant que maître de l’ouvrage, architecte ou ingé- nieur, nous puisons dans les ressources naturelles pour fabriquer les matériaux, nous polluons l’atmosphère avec le CO2 émis et nous modifions les écosystèmes.

Selon l’OFEN, le parc immobilier suisse est responsable de plus de 40 % de la consommation d’énergie et d’un tiers des émissions de CO2 de notre pays. Selon la récente étude des chercheurs Priore, Habert et Jusselme, il faudrait diviser par huit la quantité annuelle d’émissions de CO2/m2 émanant de la construction en Suisse d’ici 2050 pour atteindre la cible limite et maintenir la température de réchauffement planétaire en dessous de 1,5 °C. Or, les émissions de CO2 ne font qu’augmenter, comme le montre le budget carbone de 2018. Les progrès attendus dans le domaine des matériaux et des technologies ne suffiront pas, pas plus que les cibles fixées par les labels d’aujourd’hui. Il faut repenser nos manières de concevoir et de programmer le bâtiment.

Il existe une manière vertueuse de construire pour que tous les curseurs – atmosphère, lien social portefeuille, biodiversité – soient au vert ! Grâce à elle, nous produirions même plus de vivant que nous n’en détruirions : il s’agit d’une architecture régénérative.

La durabilité ne suffit pas

De nos jours, l’approche de conception durable se concentre essentiellement sur l’énergie nécessaire à l’exploitation d’un bâtiment. Nous nous autorisons volontiers à utiliser des matériaux dits « verts » aux côtés d’isolants à base de pétrole pour pouvoir y apposer le tampon « durable ». Or, construire un mur en terre crue ou une structure en bois ne suffit pas pour que le bâtiment soit durable. Il est nécessaire d’avoir une approche globale, une réflexion qui prend en compte des paramètres comme l’ensoleillement, les vents dominants, l’analyse des cycles de vie, la provenance des matériaux, leur mise en œuvre et leur réemploi en fin de vie.

Ces dernières années, nous avons augmenté l’efficacité énergétique des bâtiments, sans considération pour les émissions de CO2 que cela occasionne. Ainsi, au moment de la remise des clés, un bâtiment neuf aura émis, en moyenne, 50 % de la totalité du CO2 mesuré sur l’ensemble de son cycle de vie.

Une approche régénérative pour des bâtiments décarbonés

Philippe Madec, architecte-urbaniste et co-auteur du manifeste pour une frugalité heureuse et créative, décrit dans son livre Mieux avec moins ; « Nous devons faire notre deuil du modernisme. Transpassons-le. Voilà une exigence absolue. » Il ajoute : « Il n’est plus seulement question de donner la vie et d’être en vie, mais de la capacité à la préserver, à prendre soin du vivant. »

Grâce à une compréhension fine des enjeux, l’architecture régénérative vise à replacer l’acte de construire dans son environnement naturel et vivant, en s’y ancrant profondément. Elle est donc une façon de penser la maximisation des bénéfices environnementaux et économiques en considérant l’acte de construire comme une opportunité. L’architecture régénérative travaille la matière et l’énergie, mais aussi la perception, la psychologie, la sociologie, l’histoire, etc. Nous recherchons ce que nous pouvons faire de mieux et non de moins, dans une démarche exploratoire.

Des pistes de mise en œuvre vertueuses pour une nouvelle diète

On ne peut pas se passer de matériaux à forte densité carbone comme le verre et le métal, mais l’objectif est de rationaliser leur emploi. Il faut trouver un équilibre dans la combinaison des divers matériaux, en utilisant la juste quantité au bon endroit en fonction de leurs propriétés. Construire des bâtiments neutres pour le climat nous commande de revoir notre régime matériel et d’adopter une nouvelle diététique qui favorise la sobriété et les matériaux régénératifs.

Les matériaux régénératifs peuvent être biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi ; ils ont un bilan carbone faible, voire négatif. Tous ces matériaux, disponibles à proximité, contribuent à constituer un savoir-faire local, dans une logique d’économie circulaire.

Les matériaux biosourcés sont issus de plantes à croissance rapide comme la paille, l’herbe et le chanvre sous nos latitudes. Ces plantes sont capables de stocker du carbone et peuvent être récoltées plusieurs fois par an. Dans les bâtiments, elles sont particulièrement intéressantes pour leur capacité d’isolation thermique.

La terre crue nécessite peu de transformation. Elle est disponible en abondance sous nos pieds, résiste à la compression et régule l’humidité pour un confort intérieur naturellement sain et sans apport technique superflu. Les matériaux de réemploi proviennent de bâtiments voués à la démolition ; portes, parquet, structures métalliques, sanitaires, éléments de cuisine, etc. Le laboratoire SXL de l’EPFL a démontré que le réemploi d’une structure en béton n’émet guère plus de CO2 qu’une structure en bois neuve. L’immeuble Soubeyran des coopératives Equilibre et Luciole à Genève illustre cette démarche.

La structure porteuse du bâtiment est en béton, mais la façade est constituée de caissons en bois remplis de bottes de paille, les enduits intérieurs sont en terre, les enduits extérieurs à la chaux. Le bilan carbone est quasi nul. Très impliqués, les habitants ont largement contribué à la mise en œuvre lors du chantier participatif.

Ce projet propose un vivre-en- semble en créant un véritable écosystème social basé sur l’entraide et le partage, par exemple en mutualisant des locaux.

Une co-évolution pour plus de vivant

Un bâtiment régénératif restaure et renouvelle ses propres sources d’énergie et de matériaux. Cette démarche transcende le développement durable, en proposant des processus qui permettent de reconstruire les écosystèmes et la co-évolution des ressources, dans le respect de l’environnement. Pour y parvenir, nous pourrions réapprendre d’une architecture du passé, au temps où la matière avait de la valeur et le régionalisme constructif était identifiable.

Ensemble, en utilisant les connaissances techniques et scientifiques développées alors, redécouvrons la matière et sa poésie, redécouvrons les matériaux et leurs applications, redécouvrons l’artisan et son tour de main, pour plus de vivant !

Extrait de la Revue HabitatDurable 67

Les auteures

Sarah Hottinger et Elodie Simon
Architectes chez etceterra
www.etceterra.ch

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